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« Elle s’arrêta à celui-là, et, se mettant à genoux, elle lui souleva la tête afin de lui introduire quelques gouttes d’eau-de-vie dans la bouche. Dans ce moment, les Russes firent un mouvement pour reprendre la redoute qu’on leur avait enlevée. Alors la fusillade et la canonnade recommencèrent. Tout à coup, la jeune Espagnole jeta un cri de douleur. Elle venait d’être atteinte d’une balle à la main gauche, qui lui avait écrasé le pouce et était entrée dans l’épaule de l’homme mourant qu’elle soutenait. Elle tomba sans connaissance. Voyant le danger, je voulus la soulever, afin de la conduire en lieu de sûreté, où étaient les bagages, sa voiture et les ambulances. Mais, avec le seul bras que j’avais de libre, je n’en eus pas la force. Fort heureusement, un cuirassier qui était démonté vint à passer près de nous. Il ne se fit pas prier. Il me dit seulement : « Vite ! dépêchons-nous, car ici il ne fait pas bon ! » En effet les boulets nous sifflaient aux oreilles. Sans plus de façon, il enleva la jeune Espagnole et la transporta comme une enfant que l’on porte. Elle était toujours sans connaissance. Après dix minutes de marche, nous arrivâmes près d’un petit bois où était l’ambulance de l’artillerie de la Garde. Là, Florencia reprit ses sens.

« M. Larrey, le chirurgien de l’Empereur, lui fit l’amputation de son pouce, et à moi il m’extirpa fort adroitement la balle que j’avais dans le bras, et à présent je me trouve assez bien. »

Voilà ce que me raconta l’enfant de condé, Dumont, caporal des voltigeurs du 61e de ligne. Je lui fis promettre de venir me voir à Moscou, si toutefois nous y restions ; mais plus jamais je n’ai entendu parler de lui.

Ainsi périrent douze jeunes gens de Condé, dans la mémorable bataille de la Moskowa, le 7 septembre 1812.

Fin de l’abrégé de notre marche depuis le Portugal jusqu’à Moscou.

Bourgogne,
Ex-grenadier de la Garde impériale,
Chevalier de la Légion d’honneur[1].
  1. La signature de Bourgogne à la fin de ce chapitre, montre qu’il le considérait comme une sorte d’Avant-propos.