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par plus de cent malheureux de différents corps et de différentes nations, mourant de froid et de misère. Lorsqu’ils surent par nous qu’ils étaient égarés, plusieurs pleurèrent comme des enfants.

Comme nous nous trouvions près d’un bois de sapins, nous nous décidâmes à y établir notre bivac, avec ceux que nous venions de rencontrer. Ils avaient, avec eux, un cheval. On le tua, et une distribution en fut faite ; deux feux furent allumés, et chacun fit sa cuisine au bout de son sabre ou d’un bâton. Le repas achevé, nous nous formâmes en cercle autour de plusieurs feux, et il fut convenu qu’un quart veillerait, car l’on craignait à chaque instant d’être pris par les Russes qui suivaient l’armée, presque toujours sur les côtés de la route. Une heure après, la neige nous arriva, avec un grand vent qui nous força de nous mettre sous les abris que nous avions eu la précaution de faire. Un peu plus tard, le vent devint tellement furieux, que la neige y entrait et nous empêchait de prendre un peu de repos, malgré que le sommeil nous accablait. Cependant je m’endormis sur mon sac, sur lequel j’étais assis ; pour me préserver de la neige, j’avais mis sur ma tête mon collet double en peau d’hermine. Combien de fois, dans cette triste nuit, je regrettai ma peau d’ours !

Mon sommeil ne fut pas de longue durée, car un coup de vent emporta l’abri sous lequel j’étais avec mes deux soldats. Nous fûmes alors obligés de nous tenir toujours en mouvement, pour ne pas geler. Enfin le jour parut, nous nous mîmes en marche, en laissant dans le bivac sept hommes, dont trois étaient déjà morts, et quatre sans connaissance, qu’il fallut abandonner.

Il pouvait être huit heures, lorsque nous eûmes rejoint la grand’route, et, après bien des peines, nous arrivâmes, sur les trois heures après midi, à Molodetschno, au milieu d’une cohue d’hommes de tous les corps, surtout de l’armée d’Italie. En arrivant dans le village, où l’Empereur avait couché la veille, nous cherchâmes à nous introduire pour passer la nuit dans une grange ou dans une écurie, mais nous étions arrivés trop tard. Nous fûmes obligés de nous établir au milieu d’une maison brûlée, sans toit, et où les trois quarts des places étaient déjà prises, mais nous nous