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sont passées. Les détails que je viens de raconter ne sont que l’esquisse de l’horrible tableau.

Je venais d’être prévenu que le régiment allait passer ; il venait de quitter la position de la veille. Je fis prendre les armes aux hommes, réunis au nombre de 23, sans compter notre armurier. Lorsque le régiment passa, chacun rentra dans sa compagnie.

Nous étions en marche : il pouvait être neuf heures. Nous traversâmes un terrain boisé et coupé par des marais que nous passâmes sur des ponts construits en bois de sapin résineux de deux mille pieds de longueur, que les Russes n’avaient pas eu, heureusement pour nous, le bonheur de brûler. L’on s’arrêta pour attendre ceux qui étaient encore derrière. Il faisait un peu de soleil. Je m’assis sur le sac de Gros-Jean et je m’endormis, mais un officier, M. Favin, s’en étant aperçu, vint me tirer par les oreilles, par les cheveux ; d’autres me donnaient des coups de pied dans le derrière, sans pouvoir m’éveiller. Enfin il fallut que plusieurs prennent le parti de me lever, car c’en était fait : mon sommeil était celui de la mort et, cependant, j’étais fâché que l’on m’eût réveillé.

Beaucoup d’hommes, que l’on croyait perdus, arrivaient encore des bords de la Bérézina. Il y en avait qui s’embrassaient, se félicitaient, comme si l’on venait de passer le Rhin, dont nous étions encore éloignés de quatre cents lieues ! On se croyait tellement sauvés que, revenus à des sentiments moins indifférents, on plaignait, on regrettait ceux qui avaient eu le malheur de rester en arrière. Pour ne plus m’endormir, on me conseilla de marcher un peu en avant. C’est ce que je fis.