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toujours en ordre. Derrière eux suivaient l’artillerie et quelques fourgons. Le reste du grand parc, commandé par le général Nègre, était déjà en avant. Un instant après parut la droite des fusiliers-chasseurs, avec lesquels notre régiment formait une brigade. Le nombre en était encore beaucoup diminué. Notre régiment était encore séparé par de l’artillerie que les chevaux ne savaient plus traîner. Un instant après, j’aperçus la droite marchant sur deux rangs, à droite et à gauche de la route, afin de rejoindre la gauche des fusiliers-chasseurs. L’adjudant-major Roustan, le premier qui m’aperçut, me dit : « Eh bien ! pauvre Bourgogne, c’est donc vous ! L’on vous croit mort en arrière, et vous voilà vivant en avant ! Allons, tant mieux ! N’avez-vous pas rencontré, en arrière, des hommes du régiment ? » Je lui répondis que, depuis trois jours, je voyageais dans les bois avec un second, pour éviter d’être pris par les Russes. M. Serraris dit au colonel qu’il savait que, depuis le 22, j’étais resté en arrière, étant malade, et que s’il était surpris d’une chose, c’était de me revoir. Enfin arriva la compagnie, et j’avais repris mon rang à la droite, que mes amis ne m’avaient pas encore aperçu[1]. Aussitôt qu’ils surent que j’étais là, ils vinrent auprès de moi me faire des questions auxquelles je n’avais pas la force de répondre, tant j’étais ému en me retrouvant au milieu d’eux, comme si j’eusse été dans ma famille. Ils me disaient qu’ils ne concevaient pas comment j’avais été séparé d’eux, et que cela ne serait pas arrivé, s’ils se fussent aperçus que j’étais malade à ne pouvoir suivre. En jetant un coup d’œil sur la compagnie, je vis qu’elle était encore beaucoup diminuée. Le capitaine manquait ; tous les doigts de pieds lui étaient tombés. Pour le moment, l’on ne savait pas où il était, quoique marchant avec un mauvais cheval qu’on lui avait procuré.

Deux de mes amis[2], voyant que je marchais avec peine, me prirent sous les bras.

Nous rejoignîmes les fusiliers-chasseurs. Je ne me rap-

  1. Ils marchaient tous la tête baissée, les yeux fixés vers la terre, n’y voyaient presque plus, tant la gelée et la fumée du bivac leur avaient abîmé la vue. (Note de l’auteur.)
  2. C’était avec Grangier et Leboude que nous marchions de la sorte. (Note de l’auteur.)