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était-il étendu sur sa paille, qu’ils revinrent avec plus de furie. Alors, prenant un gros morceau de bois allumé, il le jeta à une douzaine de pas et commanda au juif de porter beaucoup de bois sec pour entretenir le feu. Après cet exploit, nous n’entendîmes presque plus les hurlements.

Il n’était pas plus de quatre heures, lorsque Picart me réveilla en me surprenant agréablement. Il avait, sans m’en rien dire, fait de la soupe avec du gruau et de la farine qui lui restaient. Il avait fait rôtir ce qu’il appelait du soigné, un bon morceau de cheval. Nous mangeâmes l’un et l’autre d’assez bon appétit. Picart avait fait la part du juif. Nous eûmes, aussi, soin de notre cheval : comme il se trouvait plusieurs grands bacs en bois, nous les avions remplis de neige que la chaleur fit fondre. Pour la purifier, nous y avions mis beaucoup de charbon allumé. Elle nous servit de boisson et pour faire la soupe, et aussi pour donner à boire à notre cheval qui n’avait pas bu depuis la veille. Après avoir bien arrangé notre chaussure, je pris un charbon, et, me faisant éclairer par le juif, j’écrivis sur une planche, en grands caractères, l’inscription suivante :

Deux grenadiers de la Garde de l’empereur Napoléon, égarés dans cette forêt, ont passé la nuit du 24 au 25 novembre 1812, dans cette cabane. La veille, ils ont dû l’hospitalité à une brave famille polonaise.

Et je signai.

À peine avions-nous fait cinquante pas, que notre cheval ne voulut plus marcher. Notre guide nous dit qu’il voyait quelque chose sur le chemin. Il reconnut que c’étaient deux loups assis sur le derrière. Aussitôt Picart lâche son coup de fusil. Les individus disparaissent, et nous continuons. Au bout d’une demi-heure, nous étions sauvés.

La première rencontre que nous fîmes fut le bivac de douze hommes que nous reconnûmes pour des soldats allemands faisant partie de notre armée. Nous nous arrêtâmes près de leur feu, pour leur demander des nouvelles. Ils nous regardèrent sans nous répondre, mais parlèrent ensemble pour se consulter. Ils étaient dans la plus grande des misères. Nous remarquâmes qu’il y en avait trois de morts. Comme notre guide avait rempli ses conditions,