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coup de mauvais genièvre que le juif nous avait donné, ensuite nous délibérâmes. Il fut décidé que nous irions joindre la grand’route. Je demandai à notre guide si, dans le cas où nous ne pourrions pas gagner la route, il pourrait nous reconduire où nous avions couché. Il m’assura que oui, mais qu’il faudrait faire des remarques où nous passions. Picart se chargea de cela en coupant, de distance en distance, des jeunes arbres, bouleaux ou sapins, que nous laissions derrière nous.

Nous pouvions avoir fait une demi-lieue, dans ce nouveau chemin, lorsque nous rencontrâmes une cabane. Il était presque temps, car les forces commençaient à me manquer. Il fut décidé que nous y ferions une halte d’une demi-heure pour y faire manger le cheval, ainsi que nous. Le bonheur voulut qu’en y entrant, nous trouvâmes beaucoup de bois sec à brûler, deux bancs formés de deux grosses pièces de bois brut et trois peaux de mouton, qu’il fut décidé que l’on emporterait pour nous en servir si nous étions obligés de passer la nuit dans la forêt.

Nous nous chauffâmes en mangeant un morceau de viande de cheval. Notre guide n’en voulut pas toucher, mais il tira de dessous sa capote de peau de mouton une mauvaise galette de farine d’orge, avec autant de paille, que nous nous empressâmes de partager avec lui. Il nous jura par Abraham qu’il n’avait que cela et quelques noix. Nous en fîmes quatre parts. Il en eut deux, et nous chacun une. Nous bûmes chacun un petit verre de mauvais genièvre. Je lui en présentai un qu’il refusa, et cela pour ne pas boire dans le même vase que nous. Mais il nous avança le creux de sa main, et nous lui en versâmes, qu’il avala.

Il nous dit alors que, pour arriver à une autre cabane, il fallait encore une bonne heure de marche. Aussi, dans la crainte que la nuit ne vienne nous surprendre, nous résolûmes de nous remettre en route. C’est ce que nous fîmes avec une peine incroyable, tant le chemin était devenu étroit, ou plutôt l’on aurait dit qu’il n’y en avait plus. Cependant Samuel, notre guide, qui avait vraiment du courage, nous rassura en nous disant que, bientôt, nous le retrouverions plus large.

Pour comble de malheur, la neige recommença à tomber