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L’ennemi venait de s’y renfermer ; nous prîmes position sur le Champ sacré, ainsi appelé par les habitants du pays. Cette ville est entourée de murailles très fortes et de vieilles tours, dont le haut est en bois ; le Boristhène (Dniéper) coule de l’autre côté et au pied de la ville. Aussitôt on en fit le siège, et l’on battit en brèche, et, le 17 au matin, lorsque l’on se disposait à la prendre d’assaut, on fut tout surpris de la trouver évacuée. Les Russes battaient en retraite, mais ils avaient coupé le pont et, de l’autre côté, sur une hauteur qui dominait la ville, ils nous lançaient des bombes et des boulets.

Pendant le jour du siège, je fus, avec un de mes amis, aux avant-postes où étaient les batteries de siège qui tiraient sur la ville. C’était la position du corps d’armée du maréchal Davoust ; en nous voyant, et reconnaissant que nous étions de la Garde, le maréchal vint à nous et nous demanda où était la Garde impériale. Ensuite il se mit à pointer des obusiers qui tiraient sur une tour qui était devant nous. Un instant après, l’on vint le prévenir que les Russes sortaient de la ville, et s’avançaient dans la direction où nous étions. De suite, il commanda à un bataillon d’infanterie légère d’aller prendre position en avant, en disant à celui qui le commandait : « Si l’ennemi s’avance, vous le repousserez ».

Je me rappelle qu’un officier déjà vieux, faisant partie de ce bataillon, chantait, en allant au combat, la chanson de Roland :

Combien sont-ils ? Combien sont-ils ?
C’est le cri du soldat sans gloire ![1]

Cinq minutes après, ils marchaient à la baïonnette sur la colonne des Russes, qui fut forcée de rentrer en ville. En revenant à notre camp, nous faillîmes être tués par un


  1. Combien sont-ils ? Combien sont-ils ?
    Quel homme ennemi de sa gloire
    Peut demander : Combien sont-ils ?
    Eh ! demande où sont les périls,
    C’est là qu’est aussi la victoire !

    Tel est le texte exact du troisième couplet de Roland à Roncevaux, chanson (paroles et musique) de Rouget de L’Isle.