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d’enfoncer la glace pour avoir de l’eau, mais nous n’en eûmes ni la force, ni la patience.

Nous étions bien réchauffés, et l’espoir de manger une bonne soupe me donnait de la joie, tant il est vrai que, lorsque l’on est dans la peine, il faut peu de chose pour nous rendre heureux !

Cependant notre marmite, dans l’état où elle était, ne pouvait nous servir, mais Picart, qui était très adroit et que rien n’embarrassait, se disposa à la mettre en état de nous être utile. Ayant coupé un sapin gros comme le bras, à un pied et demi de terre, pour lui servir d’enclume, et un autre morceau de la même longueur, pour servir de marteau, qu’il enveloppa d’un chiffon afin de ne pas faire de bruit en frappant, il se mit bravement à faire le chaudronnier et à chanter, en frappant en mesure sur la marmite, ces paroles qu’il chantait toujours à la tête de la compagnie, dans les marches de nuit :

C’est ma mie l’aveugle,
C’est ma mie l’aveugle,
C’est ma fantaisie,
J’en suis amoureux !

En entendant cette grosse voix qui semblait sortir d’un tonneau, je ne pus m’empêcher de lui dire : « Mon vieux camarade, vous n’y pensez pas ; ce n’est pas le moment de chanter ! » Picart, levant la tête, me regarda en souriant et, sans me répondre, il continua :

Elle a le nez morveux
Et les yeux chassieux ;
C’est ma mie l’aveugle,
C’est ma fantaisie,
J’en suis amoureux !

Picart, voyant que son chant ne m’amusait pas, cessa. Il me montra la marmite qui avait déjà pris une autre forme ; elle était en état de service :

« Vous vous rappelez, me dit-il, le jour de la bataille d’Eylau, lorsque nous étions en colonne serrée par division, sur la droite de l’église ? — Certainement, lui dis-je, il faisait un temps comme aujourd’hui. Je dois d’autant plus m’en souvenir qu’un brutal de boulet russe m’enleva, de