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La neige ne tombait plus que faiblement, et le ciel était devenu plus clair. Tout à coup, j’aperçus, sur le bord du lac et derrière un buisson, un cheval qui rongeait l’écorce d’un bouleau. L’ayant fait remarquer à Picart, il pensa encore que ce pouvait être là que la cavalerie russe avait passé la nuit, et, comme le cheval n’avait pas de harnachement, c’était, disait-il, probablement, un cheval blessé que l’on avait abandonné.

À peine avions-nous fait cette réflexion, que nous vîmes le cheval lever la tête, se mettre à hennir, ensuite venir tranquillement droit sur nous, s’arrêter contre Picart et le sentir comme s’il le reconnaissait. Nous n’osions, dans cette situation, ni bouger, ni parler. Le diable de cheval restait toujours contre nous, la tête haute contre le bonnet à poil de Picart qui n’osait respirer, dans la crainte que ceux à qui il appartenait ne viennent le chercher. Mais, ayant remarqué qu’il avait un coup de fusil dans le poitrail, nous n’eûmes plus de doute que le cheval était abandonné, ainsi que le bivac. En un instant, nous arrivons dans un espace assez grand formant un demi-cercle, couvert d’abris et de plusieurs feux, de sept chevaux tués et en partie mangés. Cela nous fit supposer que plus de deux cents hommes y avaient passé la nuit : « Ce sont eux ! dit Picart, en mettant les mains dans les cendres pour les réchauffer. Il n’y a plus de doute, car voilà un cheval jaune que je reconnais. Il était de la fête, et m’a servi de point de mire. Je crois ne pas me tromper en vous disant que j’ai envoyé à son maître une commission pour l’autre monde. » Après avoir regardé si rien ne pouvait nous inquiéter, nous nous occupâmes de ravitailler un bon feu placé devant un abri fort épais, qui paraissait avoir été celui du chef de la troupe, car il avait été soigné, en comparaison des autres.

La neige avait tout à fait cessé de tomber, et, au grand vent, avait succédé un grand calme. Nous nous préparâmes à faire la soupe. Nous avions notre provision de viande de cheval, que nous avions emportée le matin, mais nous jugeâmes convenable de la garder, puisque nous en avions autour de nous. Picart se mit de suite en besogne, et, avec ma petite hache, il en coupa de la fraîche pour faire la soupe, et une autre provision pour emporter. Nous essayâmes