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MÉMOIRES DU SERGENT BOURGOGNE.

daient. L’on nous fit faire halte, ensuite monter quatre dans la même voiture et, fouette cocher ! jusqu’à Meaux, puis sur des chariots jusqu’au Rhin, en marchant jour et nuit.

Nous fîmes séjour à Mayence, puis nous passâmes le Rhin ; ensuite nous traversâmes à pied le grand-duché de Francfort[1], la Franconie, la Saxe, la Prusse, la Pologne. Nous passâmes la Vistule à Marienwerder, nous entrâmes en Poméranie, et, le 25 juin au matin, par un beau temps, non pas par un temps affreux, comme le dit M. de Ségur, nous traversâmes le Niémen sur plusieurs ponts de bateaux que l’on venait de jeter, et nous entrâmes en Lithuanie, première province de Russie.

Le lendemain, nous quittâmes notre première position et nous marchâmes jusqu’au 29, sans qu’il nous arrivât rien de remarquable ; mais, dans la nuit du 29 au 30, un bruit sourd se fit entendre : c’était le tonnerre qu’un vent furieux nous apportait. Des masses de nuées s’amoncelaient sur nos têtes et finirent par crever. Le tonnerre et le vent durèrent plus de deux heures. En quelques minutes, nos feux furent éteints ; les abris qui nous couvraient, enlevés ; nos faisceaux d’armes renversés. Nous étions tous perdus et ne sachant où nous diriger. Je courus me réfugier dans la direction d’un village où était logé le quartier général. Je n’avais, pour me guider, que la lueur des éclairs. Tout à coup, à la lueur d’un éclair, je crois apercevoir un chemin, mais c’était un canal qui conduisait à un moulin que les pluies avaient enflé, et dont les eaux étaient au niveau du sol. Pensant marcher sur quelque chose de solide, je m’enfonce et disparais. Mais, revenu au-dessus de l’eau, je gagne l’autre bord à la nage. Enfin, j’arrive au village, j’entre dans la première maison que je rencontre et où je trouve la première chambre occupée par une vingtaine d’hommes, officiers et domestiques, endormis. Je gagne le mieux possible un banc qui était placé autour d’un grand poêle bien chaud, je me déshabille, je m’empresse de tordre ma chemise et mes habits, pour en faire sortir l’eau, et je m’accroupis sur le banc, en attendant que tout soit sec ; au jour, je m’arrange le mieux

  1. Francfort avait été érigé en grand-duché, en 1806, par Napoléon, en faveur de l’électeur de Mayence.