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mais lorsque je m’éveillai, il n’y avait pas encore d’apparence que le jour dût venir de sitôt, car, en Russie, les nuits sont longues. C’est le contraire en été ; il n’y en a presque pas.

Lorsque je m’étais endormi, je m’étais mis les pieds dans les cendres. Aussi, en me réveillant, je les avais chauds. Je savais par expérience que le bon feu délasse et apaise les douleurs ; c’est pourquoi je me disposai à en faire un en mettant le feu au caisson, en y ajoutant tout ce qui pourrait être susceptible de brûler. Aussitôt, ramassant et réunissant tout le bois que je pus trouver, ainsi que les coffres brisés, et en ayant mis une partie contre, je n’avais qu’à pousser mon feu et à l’incendier.

Cependant, je voulus encore attendre quelque temps, car je pensais que si mon feu, jusqu’à présent, ne m’avait attiré aucun désagrément, c’est-à-dire quelques patrouilles de Cosaques, c’est parce qu’il était petit et dans un fond, mais que le contraire pourrait fort bien arriver lorsque le caisson serait tout en feu.

La flamme commençait à éclairer et à me mettre à même de voir tout ce qui était autour de moi. Je vis venir, sur ma gauche, quelque chose que je pris d’abord pour un animal, et comme il y a beaucoup d’ours en Russie, et surtout dans cette contrée, je pensais et j’étais presque certain, à la tournure de l’individu, que c’en était un, car il marchait à quatre pattes. Il pouvait être à dix ou douze pas, et je ne pouvais encore bien le distinguer. Lorsqu’il ne fut plus qu’a cinq ou six pas, je reconnus que c’était un homme, et de suite je pensai que ce pouvait être un blessé qui, attiré par le feu, venait en prendre sa part. Crainte de surprise, je me mis sur mes gardes, et, prenant mon sabre qui était près de moi et hors du fourreau, j’avançai deux pas à la rencontre et sur la droite de l’individu, en lui criant : « Qui es-tu ? » En même temps, je lui mettais la pointe de mon sabre sur le dos, car j’avais reconnu que c’était un Russe, un vrai Cosaque à longue barbe.

Aussitôt, il leva la tête et se mit en position d’esclave, en voulant me baiser les pieds et en me disant : « Dobray Frantsouz ! »[1] et d’autres mots que je comprenais un peu et que

  1. Bon Français ! (Note de l’auteur.)