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VII

La retraite continue. — Je prends femme. — Découragement. — Je perds de vue mes camarades. — Scènes dramatiques. — Rencontre de Picart.


Le 18 novembre, qui était le lendemain de la bataille de Krasnoé, nous partîmes de grand matin de notre bivac. Dans cette journée, notre marche fut encore bien fatigante et triste ; il avait dégelé, nous avions les pieds mouillés et, jusqu’au soir, il fit un brouillard à ne pas s’y voir. Nos soldats marchaient encore en ordre, mais il était facile à voir que les combats des jours précédents les avaient démoralisés, et surtout l’abandon forcé de leurs camarades qui leur tendaient les bras, car ils pensaient aussi que le même sort les attendait.

Ce jour-la, j’étais très fatigué ; un soldat de la compagnie, nommé Labbé, qui m’était très attaché, et qui, la veille, avait perdu son sac, voyant que je marchais avec beaucoup de peine, me demanda le mien à porter. Comme je le connaissais pour un brave garçon, je le lui confiai, et, certainement, c’était lui confier ma vie, car il y avait dedans plus d’une livre de riz et du gruau que le hasard m’avait procuré à Smolensk, et que je conservais pour les moments les plus critiques, que je prévoyais arriver bientôt, lorsqu’il n’y aurait plus de chevaux à manger. Ce jour-là, l’Empereur marchait à pied, un bâton à la main.

Le soir, la gelée ayant repris, il fit un verglas à ne pas se tenir, les hommes tombaient à chaque instant, plusieurs