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de se sauver. Il finit cependant par se rendre maître du passage, mais, au moment où il allait sauter de l’autre côté, son cheval fut atteint d’une balle et tomba sous lui, de manière que le passage devint difficile. Alors les soldats russes furent forcés de se défendre. Des ce moment, le combat devint plus acharné. À la lueur des flammes, ce n’était plus qu’une vraie boucherie. Russes, Français étaient les uns sur les autres, dans la neige, se tuant à bout portant.

Je voulus courir sur l’officier russe qui s’était dégagé de dessous son cheval, et qui cherchait, aidé de deux soldats, à se sauver en passant la barrière ; mais un soldat russe m’arrêta à deux pas du bout du canon de son fusil, et fit feu ; probablement qu’il n’y eut que l’amorce qui brûla, car, si le coup avait parti, c’en était fait de moi ; sentant que je n’étais pas blessé, je me retirai à quelques pas de mon adversaire qui, pensant que j’étais dangereusement blessé, rechargeait tranquillement son arme. L’adjudant-major Roustan, qui se trouvait près du colonel et m’avait vu en danger, courut sur moi et, me prenant dans ses bras, me dit : « Mon pauvre Bourgogne, n’êtes-vous pas blessé ? — Non, lui répondis-je. — Alors ne le manquez pas ! » C’était bien ma pensée. En supposant que mon fusil manquât (chose qui arrivait souvent, à cause de la neige), j’aurais couru dessus avec ma baïonnette. Je ne lui donnai pas le temps de finir de recharger, qu’une balle l’avait déjà traversé. Quoique blessé mortellement, il ne tomba pas sur le coup ; il recula en chancelant, et en me regardant d’un air menaçant, sans lâcher son arme, et alla tomber sur le cheval de l’officier qui se trouvait contre la barrière. L’adjudant-major, passant près de lui, lui porta un coup de sabre dans le côté qui accéléra sa chute ; au même instant, je revins près du colonel que je trouvai abîmé de fatigue, n’ayant plus la force de commander ; il n’avait près de lui que son sapeur. L’adjudant-major arriva avec son sabre ensanglanté, en nous disant que, pour traverser la mêlée et rejoindre le colonel, il avait été obligé de se faire jour à coups de sabre, mais qu’il arrivait avec un coup de baïonnette dans la cuisse droite. Dans ce moment, le sapeur qui soutenait le colonel fut atteint d’une balle dans la poitrine. Le colonel, s’en étant aperçu, lui dit : « Sapeur, vous êtes