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J’oubliais de dire qu’au moment où nous battions la charge, et que la tête de notre colonne enfonçait les Russes, en mettant leur camp en déroute, nous rencontrâmes, étendus sur la neige, plusieurs centaines de Russes que l’on crut morts ou dangereusement blessés. Nous les dépassâmes, mais, à peine fûmes-nous au-dessus, qu’ils se relevèrent avec leurs armes ; ils firent feu, de manière que nous fûmes obligés de faire demi-tour pour nous défendre. Malheureusement pour eux, un bataillon qui faisait l’arrière garde et qu’ils n’avaient pu apercevoir, arriva. Ils furent pris entre deux feux ; en moins de cinq minutes, plus un n’existait : c’est une ruse de guerre dont les Russes se servent souvent, mais là, elle ne réussit pas.

Le premier qui tomba chez nous, lorsque nous marchions en colonne, fut le malheureux Beloque, celui qui, à Smolensk, m’avait prédit sa mort. Il fut atteint d’une balle à la tête et tué sur le coup ; il était l’ami de tous ceux qui le connaissaient, et, malgré l’indifférence que nous avions pour tout, et même pour nous, Beloque fut généralement regretté de ses camarades.

Lorsque nous eûmes traversé le camp des Russes, et abordé le village, après les avoir forcés à jeter une partie de leur artillerie dans un lac, un grand nombre de leurs fantassins s’étaient retirés dans les maisons, dont une partie était en flammes. C’est là où nous nous battîmes avec acharnement et corps à corps. Le carnage fut terrible ; nous étions divisés ; chacun se battait pour son compte. Je me trouvais près de notre colonel, le plus ancien colonel de France, qui avait fait les campagnes d’Égypte. Il était, dans ce moment, conduit par un sapeur qui le soutenait en le tenant par le bras ; près de lui était aussi l’adjudant-major Roustan ; nous nous trouvions à l’entrée d’une espèce de ferme où beaucoup de Russes s’étaient retirés et étaient bloqués par des hommes de notre régiment ; ils n’avaient, pour toute retraite, qu’une issue dans la grande cour, mais fermée par une barrière qu’ils étaient obligés d’escalader.

Pendant ce combat isolé, je remarquai, dans la cour, un officier russe monté sur un cheval blanc, frappant à coups de plat de sabre sur ses soldats qui se pressaient de fuir en voulant sauter la barrière, et ne lui laissaient aucun moyen