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Je n’avais pas encore eu le temps de me reconnaître et de savoir où j’étais, que je fus tiré de mon étourdissement par des cris confus de différentes langues d’une douzaine d’individus couchés sur de la paille, autour d’un feu : Français, Allemands, Italiens, que je reconnus, de suite, pour être des associés pillards et voleurs, marchant ensemble pour leur compte, et toujours en avant de l’armée, de crainte de rencontrer l’ennemi et de se battre, arrivant les premiers dans les maisons lorsqu’il s’en trouvait, ou bivaquant dans des lieux séparés. Lorsque l’armée arrivait, la nuit, bien fatiguée, ils sortaient de leur cachette, rôdaient autour des bivacs, enlevaient lestement les chevaux et les portemanteaux des officiers, et se remettaient en route de grand matin, quelques heures avant la colonne, et ainsi de même chaque jour. Enfin c’était une de ces bandes comme il y en avait beaucoup, qui s’étaient formées depuis les premiers jours où les grands froids avaient commencé, et qui avaient amené nos désastres. Ces bandes se propagèrent, par la suite.

J’étais encore étourdi de ma chute, et je n’étais pas encore relevé, qu’un individu se leva du fond de la cave, alluma de la paille pour mieux me voir, car il était impossible, à mon costume, et surtout à la peau d’ours qui me couvrait en partie, de savoir à quel régiment j’appartenais. Mais, ayant vu l’aigle impérial sur mon shako, il cria, d’un air goguenard : « Ah ! ah ! de la Garde impériale ? À la porte ! » Et les autres répétèrent : « À la porte ! à la porte ! » Étourdi, sans être intimidé de leurs cris, je me levai pour les prier, puisque le hasard, ou plutôt le bonheur m’avait fait tomber chez eux, de m’y laisser au moins jusqu’au jour, et qu’alors je m’en irais. Mais l’individu qui s’était levé le premier, et qui paraissait le chef, ayant à son côté un demi-espadon, qu’il avait soin de faire voir avec affectation, répéta que je devais sortir, et de suite, et tous répétèrent en chœur : « À la porte ! À la porte ! » Un Allemand vint pour mettre la main sur moi, mais, d’une poussée que je lui donnai dans la poitrine, je l’envoyai tomber de tout son long sur d’autres qui étaient encore couchés, et mis la main sur la poignée de mon sabre, car mon fusil, lorsque je roulai en bas de la rampe, était resté derrière. L’homme au demi-espadon applaudit à