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AVANT-PROPOS.

Mémoires militaires, ceux des humbles et des naïfs qui représentent l’élément populaire. On a senti qu’il était utile et bon de se rendre, de leurs impressions, un compte exact.

Nous n’avons pas besoin d’insister sur la valeur dramatique des tableaux de Bourgogne, pour ne parler que de l’orgie de l’église de Smolensk, de son cimetière recouvert de plus de cadavres qu’il n’en contient, de ce malheureux franchissant leurs monceaux neigeux pour arriver au sanctuaire, guidé par les accents d’une musique qu’il croit céleste, tandis qu’elle est produite par des ivrognes montés à l’orgue prêt à s’écrouler parce que ses marches de bois ont été arrachées pour faire du feu. Tout cela est inoubliable.

Ces Mémoires ne sont pas moins précieux pour la psychologie du soldat déprimé par une suite de revers : les combattants de 1870 y retrouveront une part de leurs misères. C’est aussi le vrai drame de la faim. Il n’existe point de tableau comparable à celui de la garnison de Wilna fuyant à l’aspect de cette armée de spectres prêts à tout dévorer. Et, pourtant, on ne peut refuser à Bourgogne les qualités d’un homme de cœur : ses accès d’égoïsme sont tellement contre sa nature, que le remords suit aussitôt. On le voit, ailleurs, aider de son mieux les camarades, s’exposer pour l’évasion d’un prisonnier dont le père l’a ému. Les horreurs dont il a été témoin le pénètrent : il a vu des soldats dépouiller, avant leur dernier soupir, ceux qui tombaient ; d’autres (des Croates) retirer des flammes les cadavres et les dévorer. Il a vu, faute de transports, abandonner les blessés tendant leurs mains suppliantes, se traînant sur la neige rougie de leur sang, tandis que ceux qui sont encore debout passent, muets, devant eux, en songeant que pareil sort les attend. Sur les bords du Niemen, Bourgogne, tombe dans un fossé couvert de glace, implore vainement, lui aussi, les soldats qui passent. Seul, un vieux grenadier s’approche.

« Je n’en ai plus ! » dit-il en levant ses moignons pour montrer qu’il n’a pas une main à offrir.

Près des villes où les troupes croient trouver la fin de leurs maux, le retour de l’espérance fait renaître les sentiments de pitié. Les langues se délient, on s’informe des camarades, on porte les plus malades sur des fusils. Bourgogne a vu des soldats garder, pendant des lieues, leurs officiers blessés sur leurs épaules. N’oublions pas ces Hessois qui garantissent leur jeune prince contre vingt-huit degrés de froid, passant une nuit serrés