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volontiers tristes s’éclairassent, pour que cette bouche amère sourît d’un sourire heureux ! Et voilà pourquoi la plus chimérique mais aussi la plus douloureuse et la plus sincère des anxiétés avait commencé de tourmenter le jeune homme, tandis que miss Marsh et Corancez échangeaient tout bas dans un coin ce commentaire :

— « Je demanderai à mon oncle de l’inviter, c’est convenu, » disait la jeune Américaine. « Pauvre garçon ! J’ai vraiment un faible pour lui. Il a l’air si triste maintenant ! … Ils lui auront fait de la peine en parlant de la baronne comme ils en ont parlé. »

— « Mais non, mais non, » répondait Corancez : « il est au désespoir d’avoir manqué, par sa faute, une occasion de causer avec son idole. Imaginez-vous qu’au moment où je l’abordais, elle, pftt… Ni vu, ni connu… mon Hautefeuille s’était évanoui, évaporé, dissipé. Il a un remords d’avoir été trop timide. C’est un sentiment que j’espère bien ne connaître jamais. »

Un remords ! … L’astucieux Méridional ne croyait pas si bien dire. Il se trompait sur le motif, mais il avait nommé du terme le plus juste l’émotion qui avait en effet obsédé Hautefeuille pendant de longues heures de la nuit, et qui, ce matin, l’immobilisait devant le précieux étui. C’était comme si réellement le jeune homme eût non pas acheté, mais volé ce bijou, tant il éprouvait de malaise à l’avoir là, sous ses yeux. Qu’allait-il en faire,