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vendu. Il me décrira. Dieu ! si elle me reconnaît à ce signalement ? … » À cette idée, un nouveau frisson courût en lui. Dans un éclair, une hallucination intérieure lui montra le petit salon de la villa Helmholtz. — L’archiduc avait baptisé ainsi sa maison, à cause du grand savant, son maître. — L’amoureux aperçut la baronne Ely assise au coin de la cheminée, dans une robe de dentelle noire à nœuds de satin vert myrte, celle de ses toilettes qu’il préférait. Il vit cette pièce à l’heure du thé : les meubles, les fleurs dans les vases, les lampes sous leurs abat-jour nuancés, tout ce décor si aimé. Il se vit arrivant là et rencontrant un autre regard, celui dans lequel il lirait, cette fois, avec certitude, que Mme de Carlsberg savait son action… La douleur que cette hypothèse lui causa fût trop vive. Elle le ramena, du coup, à là réalité : — « Je rêve encore, » se dit-il, « mais il n’en reste pas moins que j’ai été bien imprudent ; pis que cela, bien indiscret. Je n’avais pas le droit d’acheter ce bijou. Non. Je n’en avais pas le droit. Je risquais d’être surpris, d’abord, et de la compromettre. Et puis, demain, après-demain, si une indiscrétion se produit, et si le prince fait une enquête ? … » Dans un second éclair d’hallucination, il aperçut l’archiduc Henri-François et la baronne en face l’un de l’autre. Il vit les beaux, les chers yeux de la femme qu’il aimait, remplis de larmes. Elle souffrirait, une fois de plus, dans sa vie intime, et par sa faute, à lui, quand il aurait donné tout son sang avec délices pour que ces yeux si