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dans ces heures de confidences rétrospectives auxquelles j’assistais avec l’étonnement, la stupeur presque, de constater cette anomalie dans ce cœur si usé, si blasé, cette floraison, dans ce terrain stérile, d’un sentiment si délicat, si jeune, si rare qu’il me rappelait — malgré les paradoxes d’Olivier, c’est le meilleur éloge que j’en puisse faire — notre amitié à nous… »

— « Merci, » dit Mme Brion, « tu m’as fait du bien. Tout à l’heure, en t’écoutant, je croyais entendre parler une autre personne, que je ne connaissais pas. Je viens de te retrouver tout entière, si aimante, si douce, si bonne… »

— « Bonne ? Je ne le suis guère, » répondit la baronne Ely en hochant la tête, « et la preuve : à peine Chésy m’eut-il prononcé le nom de Pierre Hautefeuille, une seule idée s’empara de moi. Tu la trouveras abominable. Je la paierai peut-être bien cher. Le départ d’Olivier d’abord, et puis son mariage avaient remué en moi ce levain de haine dont je te parlais. Le croiras-tu ? Je ne pouvais pas supporter la pensée que cet homme m’eût quittée ainsi et qu’il fût heureux, paisible, indifférent ailleurs, ni qu’il eût refait sa vie comme cela, sans que je me fusse vengée. On a de ces bas-fonds dans le cœur, quand on a été ce que je fus si longtemps, une malheureuse, une désespérée dans un décor de bonheur et de luxe. Trop de détresse morale déprave, à la fin. Quand j’appris que j’allais rencontrer l’intime ami d’Olivier, c’est uniquement cette possibilité de vengeance