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tant de côtés, avait une foi, un culte, une religion : il croyait à l’amitié, du moins à celle d’un homme pour un homme, car il n’admettait pas qu’une femme pût être l’amie d’une femme. — Il ne te connaissait pas, chère Louise… — Il prétendait, je me rappelle si bien ses mots eux-mêmes, qu’entre deux hommes qui se sont éprouvés l’un l’autre, qui ont vécu, pensé, souffert côte à côte et qui s’estiment en s’aimant, il s’établit une sorte d’affection si haute, si profonde, si fière, que rien ne saurait lui être comparé. Il disait que ce sentiment était le seul qu’il respectât, le seul contre lequel ni les années, ni les événements ne pussent prévaloir. Il avouait que ces amitiés étaient rares, qu’il en avait pourtant rencontré quelques exemples, et qu’il en avait lui-même une dans sa vie : c’est alors qu’il évoquait l’image de Pierre Hautefeuille. Son accent, son regard, l’expression de ses traits, tout changeait en lui, quand il s’attardait au souvenir de cet ami absent. Lui, l’homme de toutes les ironies, il me racontait avec attendrissement et avec respect des détails aussi naïfs que leur première rencontre au collège, leur camaraderie naissante, leurs vacances d’enfants ! Il me disait l’enthousiasme qui les avait fait, en 1870, s’engager ensemble, et la guerre, leurs communs dangers, leurs communes souffrances. Il n’en finissait pas de me vanter la pureté d’âme de son ami, sa délicatesse d’esprit, sa noblesse… Je t’ai déjà dit que cet homme est demeuré pour moi une énigme. Il l’était surtout