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— « Fallait-il que j’eusse à te plaindre de cela aussi, d’avoir cherché le bonheur hors du mariage et d’avoir rencontré cet homme, ce monstre d’égoïsme, de dureté, de caprice ! … »

— « Je n’en suis pas juge, » reprit Mme de Carlsberg. « Si, moi-même, j’avais été autre, je l’aurais sans doute changé. Mais il avait touché en moi la place irritable. Je voulais le tenir, je voulais le dompter, le vaincre, et j’employai l’arme terrible : je le rendis jaloux… Tout cela fit une histoire amère, dont je t’épargne les épisodes. Ils me seraient cruels à rappeler. Tu en sauras assez quand je t’aurai dit qu’un jour, après une semaine de brouille, suivie d’une reprise d’intimité où il fut plus tendre que je ne l’avais jamais connu, Olivier quitta Rome, subitement, sans une explication, sans un mot d’adieu, sans une lettre. Je ne l’ai plus jamais revu. Je n’ai plus jamais rien su de lui, sinon ce qu’un hasard de conversation m’apprit cet hiver, qu’il était marié… Et c’est tout ! » Elle se tut ; puis, d’un accent adouci, qui disait la différence entre les souvenirs qu’elle venait d’évoquer et ceux qu’elle aborda : « Tu comprendras maintenant quelle étrange curiosité j’ai ressentie quand, voici deux mois, Chésy me demanda la permission de me présenter le frère d’une amie de sa femme, venu à Cannes en convalescence, très isolé, très charmant, et qu’il me nomma Pierre Hautefeuille. Au cours des conversations indéfiniment prolongées que nous avions eues ensemble, Olivier et moi, dans l’intervalle