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d’humeur, il ne les avait pas seulement dans ses émotions ; il les avait jusque dans ses idées. Je l’ai vu ému aux larmes par une visite dans les Catacombes, et, au retour, aussi outrageusement athée que l’archiduc. Je l’ai vu, dans le monde, tenir vingt personnes sous le charme de sa verve et de sa fantaisie, et puis passer des soirées entières sans qu’on pût lui arracher deux mots… Enfin, c’était, du petit au grand, une énigme vivante, et que je pénètre mieux à distance. Il avait été orphelin de très bonne heure et il avait eu une enfance très malheureuse, suivie d’une adolescence précocement désenchantée. Il avait été blessé et corrompu trop jeune. De là cette instabilité d’âme, ce caractère tout en fuites, qui agit sur moi, aussitôt que je commençai de m’y intéresser, comme par une puissance de spasme. Quand j’étais jeune, à Sallach, j’aimais à monter des bêtes difficiles que je m’acharnais à dompter. Je ne peux mieux comparer mes relations avec Olivier qu’à ce duel avec un cheval qui essaie to get the best of you, comme disent les Anglais. Je te le répète : je suis bien sûre de ne pas l’avoir aimé. Je ne suis pas bien sûre de ne pas l’avoir haï… »

Elle avait parlé avec une véhémence qui prouvait combien ces souvenirs tenaient en elle à des fibres profondes. Elle se tut pendant une minute ; et, comme elle était près d’un buisson de roses, elle arracha une fleur dont elle se mit à mordre les pétales d’une bouche nerveuse, tandis que Mme Brion poussait ce gémissement :