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visage de son amie, son trouble à elle-même devint si fort qu’elle osa demander, d’une voix maintenant toute tremblante :

— « Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Est-ce que tu penses que j’aurais dû empêcher ce jeune homme de faire ce qu’il a fait ? À cause de toi, je ne pouvais pas même paraître l’avoir remarqué ! … Tu es froissée de ma remarque sur ta coquetterie ? Tu le sais bien : si je t’ai parlé de la sorte, c’est que j’estime tellement ton cœur ! »

— « Toi, me froisser ! » dit la baronne. « Toi ? … Tu sais bien aussi que ce n’est pas possible… Non, je ne suis pas froissée ; je suis émue… Je ne savais pas qu’il fût là, » continua-t-elle plus bas, « ni qu’il m’eût vue à cette table, faisant ce que j’y faisais. Tu crois que j’ai été coquette avec lui ? Tiens, regarde… »

Et, comme elles étaient en ce moment à l’extrémité de l’allée, elle se retourna. Sur son visage, deux larmes coulaient lentement le long de ses joues. À travers ses yeux, d’où ces pleurs venaient de jaillir, Louise put lire jusqu’au fond de son âme ; et devant l’évidence de ce qu’elle n’avait pas osé comprendre tout à l’heure, elle s’écria :

— « Tu pleures ? … » Puis comme épouvantée devant cette tragédie morale qu’elle apercevait à présent : « Tu l’aimes ? » répéta-t-elle, « tu l’aimes ? … »

— « À quoi bon te le cacher maintenant ? » répondit Ely. « Oui, je l’aime… Quand tu m’as dit ce qu’il avait fait ce soir et qui m’a prouvé,