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des forces aveugles et implacables. Il n’y a pas de Dieu. Il n’y a que ce monde. Voilà ce que je sais aujourd’hui, et j’aime à le savoir. J’aime à meurtrir mon cœur contre cette idée d’un univers féroce et stupide. J’y trouve une espèce de sauvage plaisir et, si étrange que cela doive te paraître, une force intérieure… »

— « Ne continue pas à parler ainsi, » interrompit Mme Brion qui la prit dans ses bras, et elle la serra contre elle, comme une sœur presse une sœur malade, une mère son enfant ; « tu me fais trop de mal… Mais, » insista-t-elle en gardant la main de son amie dans la sienne, et toutes deux reprenant leur marche, « je sais, moi, que tu portes sur le cœur un poids que tu ne me dis pas. Tu n’as jamais été heureuse. Tu l’es moins que jamais aujourd’hui, et tu en veux à Dieu de ta destinée manquée. Tu te laisses aller à blasphémer comme tu te laissais aller à jouer tout à l’heure, avec folie, comme on dit que certains hommes se grisent. Ne dis pas non. J’étais là, tout ce soir, cachée dans la foule à te regarder… Pardonne-moi. Tu avais été si nerveuse depuis ce matin ! Tu m’avais tant inquiétée ! Enfin, je n’aurais pas voulu te quitter cinq minutes. Et toi, mon Ely, je t’ai vue parmi ces femmes et ces hommes, et cette déraisonnable partie à laquelle assistait ce public qui se chuchotait ton nom ! Je t’ai vue quand tu as voulu vendre cet étui, cet objet si intime, si à toi ! … Ah ! mon Ely, mon Ely ! … »

Un profond soupir accompagna ce nom aimé,