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Et le contraste n’était pas moins étonnant entre la baronne Ely de la table de roulette et la baronne Ely de cette promenade et de cette heure. La lune qui rayonnait à plein globe dans le vaste ciel semblait l’envelopper, la noyer d’un frisson de langueur exaltée. La bouche à demi ouverte et comme respirant ; comme aspirant toute la pureté de cette belle nuit froide, on eût dit que son visage se caressait à la pâleur de ce rayonnement et que la fraîcheur de l’astre lui atteignait le cœur à travers les yeux, tant elle fixait avec avidité le disque d’argent qui éclairait tout l’horizon d’une lumière presque aussi intense que celle du grand jour. C’était d’abord la mer que cette lune illuminait, une mer de velours bleu sur laquelle cette ruisselante et mourante traînée de clarté blanche traçait un chemin miraculeux. La nuit était si limpide que, dans cette baie ainsi éclairée, on distinguait le gréement d’un yacht immobile sur ses ancres, à l’abri du promontoire que couronnent les créneaux Guelfes du vieux palais Grimaldi. La grande forme sombre du cap Martin s’allongeait de l’autre côté, et c’était partout un mélange d’éclatantes transparences et de formes noires, comme découpées à l’emporte-pièce sur cette lumière de rêve. Les longues branches des palmiers recourbées en chapiteaux, les poignards dressés des aloès, l’épaisse feuillée des orangers se projetaient en ombres presque dures, tandis que sur les gazons la magie du clair de lune étalait ses splendeurs nacrées. Une à une les maisons