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aussi bien que les principes de la morale, Mme Brion n’avait pu s’empêcher de les remarquer chez Mme de Carlsberg. Mais analyser ces signes, se les avouer même, elle ne se l’était pas permis. Les âmes délicates, et qui savent aimer, ont le scrupule, presque le remords de leurs propres froissements lorsqu’il s’agit de ceux qu’elles aiment. Elles donnent tort à leur conscience et condamnent leurs impressions, plutôt que de juger les personnes d’où ces impressions leur viennent. Un malaise leur reste cependant, que le moindre fait trop précis leur rend insupportable. Pour Louise Brion, ce petit fait avait été, ces derniers temps, l’attitude de son amie à l’égard de Pierre Hautefeuille. Le hasard avait voulu qu’elle fût à Cannes lorsqu’il avait été présenté à la baronne chez Mme de Chésy, laquelle était, comme on l’a vu, une amie particulière de la sœur du jeune homme, la jeune et brillante Marie d’Yssac. Dès cette première soirée, Mme Brion avait été surprise par les manières d’Ely, qui avait causé longuement en tête-à-tête dans un coin du salon avec cet inconnu de la veille. Repartie aussitôt pour Monte-Carlo, elle n’y aurait plus pensé, sans doute, si elle n’avait, lors d’une nouvelle visite à Cannes, trouvé que le jeune homme était reçu chez la baronne sur un pied de bien soudaine intimité. Ayant fait elle-même une visite de quelques jours chez Mme de Carlsberg, elle avait dû reconnaître que son amie était ou très coquette, ou très imprudente avec Hautefeuille. Elle avait