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fond une logique, à quelque créature d’ardeur et d’élan, d’audace et d’impétuosité, dont ils subissent la fascination. Ils éprouvent le besoin irrésistible de participer en imagination et par sympathie à des joies et à des souffrances qu’ils n’auraient pas la force d’affronter par leur expérience propre. Les rapports de Mme Brion avec la baronne de Carlsberg n’avaient pas d’autre histoire. Dès la première semaine de leur enfantine camaraderie, la passionnée, la fantasque Ely avait ensorcelé la raisonnable, la sage Louise, et cette sorcellerie continuait à travers les années, d’autant plus puissante qu’à leur sortie du Sacré-Cœur les deux amies avaient subi de nouveau l’analogie du même malheur. Rien ne rapproche comme ces communautés de misère. L’une et l’autre avait été dans le mariage la victime des ambitions paternelles. Louise Rodier était devenue Mme Brion, parce que le vieux Rodier, engagé à l’insu de tout le monde dans la plus difficile impasse de sa vie financière, avait cru trouver le salut en prenant pour gendre et pour associé Horace Brion. Fils d’un père exécuté à la Bourse de Paris, ce dernier, en quinze ans, à force d’énergie, n’avait pas seulement refait sa fortune ; il s’était conquis en outre une espèce de gloire financière par le relèvement d’affaires réputées perdues, comme celle des Chemins de fer Austro-Dalmates si scélératement lancés et abandonnés par le trop célèbre Justus Hafner. Il fallait à Brion, pour effacer entièrement le souvenir de son père, une alliance avec