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une valeur de rareté et comme une poésie d’exception. De même que l’amour conçu par Pierre Hautefeuille, ce Français si profondément, si intimement Français, pour une étrangère du charme de la baronne Ely, charme si nouveau, si peu analysable au jeune homme, devait occuper dans sa vie sentimentale une place unique, de même cette amitié entre la baronne Ely et Louise Brion ne pouvait manquer d’être pour elles deux un sentiment très à part dans leur vie, quoique les données matérielles en fussent aussi naturelles dans leur détail qu’arbitraires dans leur résultat. C’est là encore un trait du monde cosmopolite. Prenez à part les existences qui s’y déploient, elles semblent simples et logiques. Réunissez-les, leur rapprochement constitue la plus paradoxale excentricité.

Cette amitié remontait, comme la plupart des solides affections de ce genre, à la seizième année des deux femmes. Elles se trouvaient avoir fini leur vie de jeune fille côte à côte dans une de ces intimités de couvent qui cessent, d’ordinaire, avec l’entrée dans le monde. Mais, lorsqu’elles ont duré à travers ce monde, résisté à l’absence, à la différence des milieux, à la séduction de nouveaux engagements, ces intimités deviennent instinctives, indestructibles, nécessaires, comme des sentiments de famille. Quand les deux amies s’étaient connues ainsi, elles s’appelaient, l’une, Ely de Sallach, l’autre, Louise Rodier, — de la grande lignée des banquiers catholiques aujourd’hui