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était pris dans un corsage en poult de soie violet recouvert d’une mousseline de soie noire plissée, avec des manches pareilles et qui semblaient frissonner à chacun de ses mouvements. Une rangée de perles du Danube, énormes et entourées de brillants, boutonnaient ce corsage sur lequel jouait la longue chaîne d’or mince et semée de pierres changeantes qui retenait la montre. Elle était coiffée d’un chapeau très petit, composé de deux ailes pailletées de jais violet et d’argent. Ce colifichet de la mode, posé sur les lourds bandeaux de cheveux noirs, comme aussi la surcharge de sa toilette, contrastait avec sa physionomie non moins que l’occupation où elle s’absorbait en ce moment. Sur ce visage de femme était empreint ce caractère si rare dans nos civilisations vieillissantes, la Grande Beauté, celle qui résistera aux épreuves de l’âge comme à celle des chagrins, car elle réside dans les portions essentielles des traits : la forme de la tête, la coupe du front, la construction de la mâchoire, l’orbe des paupières. Quand on savait qu’un peu de sang grec coulait dans ses veines, la noblesse classique de son visage s’expliquait aussitôt. Son père, le général de Sallach, alors aide de camp du commandant militaire à Zara, avait épousé par amour une Monténégrine, fille elle-même d’une femme de Salonique, et cette hérédité avait pu seule pétrir ce masque, magnifique à la fois et si fin, auquel une blancheur mate et chaude achevait de donner un vague reflet oriental. Les yeux seuls