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de Pierre, sur le même oreiller ? Le beau bras nu de la jeune femme s’enroulait au cou du jeune homme, et elle lui disait : — « Si tu n’étais pas venu, vois-tu, je crois que je serais morte, cette nuit, de douleur et d’amour… Mais je t’ai senti venir, et j’ai senti que tu me pardonnerais… Quand j’ai touché ta main, sans te voir, toute ma peine a été oubliée… Et pourtant comme ta voix était dure, d’abord ! Quelles cruelles paroles tu as pu prononcer 1 Que tu m’as fait mal ! … Mais tout est oublié ! Dis-le que tout est oublié, puisque tu m’as reprise dans tes bras, puisque tu sais que je t’aime, et que tu me laisses t’aimer… Dis-moi que tu m’aimes… Ah ! redis-le, que tu m’aimes comme sur le bateau, quand nous entendions soupirer la mer ? Te le rappelles-tu… »

Et ses yeux cherchaient les yeux de son amant pour y retrouver ce dont elle avait parlé dans sa lettre, cette clarté de l’absolu bonheur, qui n’y brillait pas. Une pensée fixe de tristesse et de remords était au fond. Elle allait se changer en une pensée d’épouvante. Au moment même où plus tendre, plus caressante, plus amoureuse, la bouche d’Ely pressait les paupières du jeune homme pour en chasser la mélancolie, une détonation éclata dans le jardin, puis deux, puis trois, coup sur coup, et un cri déchira l’air… Puis rien. Un silence effrayant avait succédé. Les deux amants se regardèrent. Une même idée venait de traverser leur esprit.