Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/455

Cette page n’a pas encore été corrigée

je veuille excuser ce mensonge qui était un crime envers toi. C’est vrai, je ne te méritais pas. Tu étais la beauté, la jeunesse, la pureté, tout ce qu’il y a de bon, de tendre, d’adorable en ce monde, j’avais perdu le droit d’être aimée d’un être tel que toi. J’aurais dû le dire dès le premierjour ; et puis, si tu avais voulu de moi, tu m’aurais prise et quittée comme un être à toi, un pauvre être, fait pour te plaire un moment, te distraire et t’en dire merci… J’y ai pensé, sache-le bien, mon pauvre aimé, et j’ai payé très cher ce mouvement non pas d’orgueil, mais d’amour, qui m’a fait reculer : j’ai eu l’horreur d’être méprisée par toi… Et puis, la femme que tu avais créée en moi ressemblait si peu à ce que j’avais été avant de te connaître ! Je me disais : « Je ne lui mens pas. » Et je ne te mentais pas, en t’aimant avec un cœur si changé… Ah ! Que je t’ai aimé ! Que je t’ai aimé ! Cela, tu ne le sauras jamais, ni toi, ni, je crois, moi-même : c’était quelque chose en moi de plus profond que mon cœur, et de si triste quand je pensais à ce qui aurait pu être, si je t’avais attendu ! …

« Pierre, tu vois que je parle de moi-même au passé, comme on parle d’une morte. N’aie pas peur, cependant. Je n’ai pas l’idée d’en finir avec la vie. Je t’ai causé un chagrin trop grand pour y joindre un remords. Je vis et je vivrai, si c’est vivre que de t’avoir connu, de t’avoir aimé, d’avoir été aimée de toi et de t’avoir perdu. Je sais que tu t’en vas de Cannes, que tu pars demain, il me semble que tu ne voudras pas me quitter pour toujours sans que j’aie pu te parler. Ma main tremble en t’écrivant. Je ne