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fois que je vous aime, que je n’ai jamais aimé au monde que vous, et, je le sens, que je n’aimerai jamais que vous. Mais il faut que je vous le dise, avec l’espérance que ma plainte arrivera pourtant jusqu’à vous, une humble plainte, d’un cœur qui souffre moins de son mal que de celui qu’il vous a causé. Quand j’ai reçu l’autre lettre, celle que vous n’avez pas voulu ouvrir, ce cœur s’est déchiré à cette pensée : comme il doit souffrir, pour m’être si dur ! Et je n’ai plus senti que votre peine…

« Non, mon aimé, je ne peux pas te parler autrement que je ne t’ai parlé depuis cette heure où je t’avais fait venir pour te demander de t’en aller et où je t’ai pris dans mes bras. Je viens d’essayer de me dominer. Cela me fait trop de mal de ne pas te montrer tout mon cœur. Si tu ne dois pas lire ces lignes, tu ne m’en voudras pas des mots d’amour que je t’aurai dits : tu ne les auras pas entendus. Et si tu les lis ! … Ah ! si tu les lis, tu te rappelleras nos heures, ces heures qui ont passé si vite, au bord de la mer, sous tes beaux pins paisibles du cap d’Antibes, puis sur le pont du bateau, puis à Gênes, quand tu n’avais pas été frappé du coup terrible, quand je pouvais te voir heureux… Mon doux, tu ne te connais pas, tu ne peux pas savoir ce que c’est pour une femme que de te donner le bonheur ! … Si je ne t’ai pas dit aussitôt ce que tu sais aujourd’hui, toute ma faute est venue de là, de cette certitude où j’étais que plus jamais je ne verrais tes yeux comme je les ai tant vus, tant adorés, avec cette claire lumière qui rayonnait de ta belle âme ravie.

« Comprends-moi, mon aimé, et ne pense pas que