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L’étrange personnage avait une vraie affection, qui tenait du culte, pour Pierre ; il gardait à la baronne Ely une reconnaissance attendrie. Oubliant sa propre histoire, dont il était pourtant très fier, — il y avait de quoi, rendons lui cet hommage, — il s’était mis en tète, aussitôt, de raccommoder les amoureux. Avec toute sa finesse, il ne pouvait pas deviner la vérité du drame qui se jouait entre ces deux êtres. Il les avait vus si épris, si heureux ! Il pensait que de savoir Ely attristée suffirait pour ramener Pierre.

— « Y a-t-il longtemps que tu n’as vu Mme de Carlsberg ? » lui demanda-t-il donc, après avoir commenté son récit, mais modestement ; il avait le triomphe aimable, et à force de belle humeur il arrivait au bon goût, dans une circonstance qui, pour tout autre homme du Midi, voire du Nord, aurait été une occasion de déclamer. On eût dit qu’il n’avait pas encore réalisé le caractère fantastique du drame qu’il venait de traverser si gaiement, presque si cocassement !

— « Quelques jours, » lui répondit Hautefeuille, à qui cette question avait fait trembler le cœur. Pour tenir sa parole scrupuleusement, il aurait dû ne pas permettre à son insinuant camarade d’aller plus loin. Au contraire, il ne put se retenir d’ajouter : « Pourquoi ? … »

— « Pour rien, » fit Corancez. « j’aurais voulu avoir ton avis sur elle : je ne suis pas content de sa santé. Je l’ai trouvée charmante, comme toujours, mais nerveuse, triste. J’ai peur que son