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jeune homme se révoltait contre lui-même. Il se rappelait son serment, ce qu’il devait à sa propre estime, ce qu’il devait à son ami. Ce qu’il avait dit au moment du sacrifice était si vrai : — Il le sentait si vrai ! — s’il revoyait sa maîtresse, il ne pourrait plus revoir Olivier. Déjà il avait l’impression confuse qu’il les haïssait tous les deux. Il souffrait tant, de lui à cause d’elle, et d’elle à cause de lui ! L’honneur enfin l’emportait, et il se tendait, il se raidissait dans sa résolution de renoncement, et il se disait : « C’est une grande épreuve. Elle n’aura qu’un temps… Loin d’ici, je guérirai… »

Il y avait cinq jours que duraient ces rapports singuliers, lorsque deux.incidents survinrent coup sur coup, provoqués l’un par l’autre, et qui devaient avoir une influence décisive sur le tragique dénouement de cette tragique situation. Le premier fut la visite, à laquelle Pierre aurait dû s’attendre, du jovial et fin Corancez. Pour couper court à une tentative quelconque de rapprochement, le jeune homme avait condamné sa porte une fois pour toutes. Mais Corancez était de ces personnages qui ont le don de déjouer les plus sévères consignes, et dans la matinée du sixième jour, — une matinée aussi radieuse que celle où ils avaient visité ensemble la Jenny, — Hautefeuille le vit de nouveau entrer dans sa chambre, son éternel bouquet d’œillets à la boutonnière, le sourire aux lèvres, la santé aux joues, la gaieté