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grande dame blasée qui l’avait attiré de piège en piège. Il ouvrait alors le tiroir où il conservait les reliques de ce qui avait été son cher bonheur, il y prenait l’étui à cigarettes acheté à Monte-Carlo avec tant d’émotion. La vue de ce bijou slave lui déchirait l’âme en lui rappelant la phrase prononcée par son ami, dans le bois de Vallauris : « Elle avait eu des amants avant moi, un au moins, un Russe tué sous Plewna… » Cet amant sans doute avait donné à Ely cet objet si vulgaire, si digne d’une fille, autour duquel lui, le pauvre Pierre, avait eu des attendrissements de dévot, des scrupules d’une si niaise piété ! Cette ironie était si humiliante que le jeune homme en frémissait d’indignation. Puis il voyait dans un autre coin du tiroir le paquet de lettres de sa maîtresse, qu’il n’avait pas eu la force de détruire. D’autres phrases d’Olivier revenaient à sa mémoire, affirmant, jurant que pour lui, Pierre, elle avait été vraie, qu’elle l’aimait sincèrement ; et tout le détail de leur délicieuse intimité ne démontrait-il pas qu’Olivier avait raison ? Était-ce possible qu’elle eut tout à fait menti sur le yacht, à Gênes, à tant d’autres adorables heures ? … Un besoin passionné de la revoir s’emparait de Pierre. Il lui semblait que s’il pouvait lui parler, l’interroger, la comprendre, un apaisement se ferait en lui : il imaginait les questions qu’il lui poserait et ses réponses, il entendait sa voix. Toute son énergie se résolvait dans la mortelle défaillance du désir, — un désir dégradé dont la sensualité s’aiguisait de mépris… Alors le