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fondait en une profonde tristesse ; et, sans prêter plus d’attention à Ely que si elle n’était pas là, il interpella le jeune homme, avec le tutoiement qu’avaient autorisé la différence de leurs âges et de leurs positions, mais que, devant témoins, il épargnait d’ordinaire à son aide :

— « Ami, » lui dit-il, et sa voix si âpre, si métallique d’ordinaire, s’attendrissait, « avoue-moi la vérité : tu regrettes ta résolution ? »

— « Je regrette d’avoir été injuste, » répondit Verdier avec un accent aussi ému que celui de son maître, « c’est vrai, monseigneur ; et je voudrais pouvoir demander pardon à la personne que j’ai méconnue… »

— « Tu auras tout le temps de te faire pardonner, » reprit l’archiduc. « Sois-en bien sûr. C’est de sa part que l’on est venu… Est-ce exact, madame ? » demanda-t-il à Ely.

— « C’est exact, » dit la jeune femme.

— « Tu vois, » fit le prince. « Allons, » continuait-il, avec un singulier mélange de pitié et de brusquerie, « descends dans ton cœur ; tu as eu huit jours pour y voir clair : tu l’aimes toujours ? »

— « Je l’aime, » répondit Verdier après un silence.

— « Encore un homme au rancart, » dit le prince en haussant les épaules, mais il accompagna la trivialité brutale de son expression d’un profond soupir qui en sauvait le cynisme. « Ainsi, malheureux, » continua-t-il, « cette vie que nous menions ensemble, si pleine, si haute, si libre, ne te suffit