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son mariage avec Mme Bonaccorsi, — un épisode d’un drame. Quand il parlait de lui-même et de sa fameuse ligne de chance, Corancez disait toujours : « Il ne m’est rien arrivé que de gai… » Il semble, en effet, qu’il y ait dans la vie deux types d’êtres bien distincts, et leur coexistence éternelle prouve la légitimité des deux points de vue représentés à travers les siècles par la comédie et la tragédie. Chaque homme ressortit à l’un de ces deux domaines, et rares sont les destinées qui mélangent l’un et l’autre élément. Pour toute une classe de personnes, — ainsi Corancez, — les plus romantiques entreprises s’achèvent en vaudeville. Pour toute une autre classe, — à laquelle appartenait, hélas ! Pierre Hautefeuille, — les plus simples aventures, au contraire, aboutissent au drame. Si les premiers aiment, et sincèrement, jamais la femme qu’ils aiment ne leur fait du mal. Pour eux les proverbes mentent, et le sourire est toujours près des larmes. Les autres sont voués aux émotions poignantes, aux complications cruelles ; toutes leurs idylles sont des idylles tragiques. Et vraiment, à voir ainsi les deux jeunes gens l’un à côté de l’autre, à la minute où Corancez mit la main sur l’épaule d’Hautefeuille, ces deux types irréductibles du personnage de comédie et du héros de tragédie apparaissaient dans la pleine évidence de leur antithèse : celui-là robuste et rieur, l’œil brillant, la lèvre sensuelle, sûr de lui-même et comme projetant un effluve de belle humeur ; l’autre frêle et délicat, le regard lourd