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amoureux du départ pour Gênes ? Où cachait-il l’affreuse peine, subie à cause d’elle, et qu’elle ne pouvait pas même consoler ? N’avait-il pas déjà quitté Cannes ? Depuis la veille au soir, cette idée que Pierre l’avait peut-être fuie pour toujours lui poignait sans cesse le cœur. Et cependant elle dévorait des yeux ce yacht où elle avait été si heureuse. Elle était assez près maintenant pour compter les hublots, dont la ligne dépassait tout juste le bastingage d’un cotre attaché à côté de la Jenny. Le neuvième était celui qui éclairait la cabine, leur cabine, l’asile nuptial où ils avaient goûté l’enivrement de leur première nuit d’amour. Un matelot était assis à côté, sur un siège mobile suspendu au bastingage, et cet homme badigeonnait la paroi extérieure du bateau avec un balai qu’il trempait à même un grand baquet. La trivialité de cette humble besogne, exécutée à cette minute et à cette place, achevait de donner à cette visite un caractère de contraste qui fit mal à la jeune femme. Aussi étouffait-elle d’émotion contenue en s’engageant sur la passerelle qui menait du quai au bateau, et son trouble était si visible que Dickie Marsh lui-même ne put s’empêcher de l’interroger, manquant pour une fois au grand principe Anglo-Saxon d’éviter les personal remarks.

— « Mais je n’ai rien, » répondit-elle, « ou, du moins, rien qui me concerne. » Et, faisant de cette question même un prétexte à entamer aussitôt l’entretien : « Vous me voyez bouleversée de ce que je viens d’apprendre par Yvonne… »