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camaraderies de leur amant, cette instinctive antipathie du Féminin contre les sentiments d’un ordre exclusivement mâle, et dont il se devine à jamais banni. Durant les heures qui suivirent ce double outrage, Ely ne fut pas seulement la femme amoureuse et repoussée qui perd avec celui qu’elle aime sa joie de vivre, et qui en meurt. Elle subit aussi toutes les fureurs de la plus étrange jalousie. Elle fut jalouse d’Olivier, jalouse de l’affection qu’il inspirait et qu’il portait à Pierre. À travers le désespoir que lui causait la certitude d’un si cruel abandon, elle éprouvait une peine de plus à l’idée que ces deux hommes étaient heureux dans le triomphe de leur fraternelle tendresse, qu’ils habitaient sous le même toit, qu’ils se parlaient, qu’ils s’estimaient, qu’ils s’aimaient. Certes, des impressions de cet ordre ressemblaient peu à sa magnanimité innée. Mais les souffrances extrêmes ont ce trait commun qu’elles nous dénaturent le cœur. L’être délicat s’y fait brutal ; confiant, il y perd le noble pouvoir de se livrer ; cordial, il y devient misanthrope. Il n’y a pas de plus complet préjugé que celui dont un vers célèbre s’est fait l’écho :

L’homme est un apprenti, la douleur est son maître…

Un maître, soit. Mais d’égoïsme et de dépravation. Il faut, pour ne pas se corrompre en souffrant, accepter l’épreuve, comme un châtiment et comme un rachat. Ce n’est plus alors la douleur qui nous améliore, c’est la foi. Sans, doute, si