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admis la possibilité au moins de cet événement. Mais le cœur conserve en lui, quand il aime, de telles énergies de confiance, un si vivace pouvoir d’illusion, qu’elle arrivait à cette épreuve aussi peu préparée, aussi nouvelle, aussi peu résignée que nous arrivons tous à la mort… Ah ! si elle avait pu voir Pierre tout de suite, seule à seul, lui parler à son tour, plaider sa cause, se défendre, lui expliquer ce qu’elle avait été jadis et pourquoi, ce qu’elle était devenue, et pourquoi encore, et ses luttes, et son besoin de tout lui confesser la première, et qu’elle s’était tue par crainte de le perdre, par tremblement de lui faire mal, — par amour, uniquement par amour ! … Le voir ? Mais où ? Quand ? Comment ? … À l’hôtel ? Il ne la recevrait pas. Olivier était là, qui veillait, qui le gardait… Chez elle ? Il n’y reviendrait plus… À un rendez-vous ? Elle ne pouvait même pas lui en demander un. Il n’ouvrirait pas sa lettre… Cette nature demeurée primitive dans son fond intime sentit frémir en elle, contre les entraves qui la liaient, tout le sauvage esprit de ses ancêtres de la Montagne Noire. Elle eut, à travers son chagrin, un mouvement d’effrénée violence. Cette impuissante révolte se traduisit — comme elle pouvait se traduire — par une lettre, écrire à Olivier, au lâche dénonciateur. Elle le méprisait, en ce moment, de toute la foi qu’elle avait eue dans sa loyauté, de tout l’amour aussi qu’elle portait à Pierre. Cette nouvelle lettre était bien inefficace, bien indigne aussi de ce qu’elle se devait à elle-même.