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de se réchauffer, de se purifier à cette tendresse dévouée et simple, après la cruelle scène dont elle sortait si brisée, si humiliée, si souillée. Pas une seule minute elle ne fit à Olivier l’injure de soupçonner qu’il pût, même possédé par la fureur du plus haïssable amour, toucher à l’image que Pierre se faisait d’elle, — cette image trop peu semblable à son passé, mais si vraie aujourd’hui, si pareille au fond même de son être présent. Elle n’avait rien dit à son ami dans cette lettre qu’elle ne lui eût répété dans vingt autres : d’abord qu’elle l’aimait, ensuite qu’elle l’aimait, enfin qu’elle l’aimait. Elle était sûre qu’il allait lui répondre, lui aussi, des phrases d’amour, lues et relues vingt fois déjà, mais dont chaque mot lui serait pourtant aussi délicieux, aussi neuf qu’un bonheur inéprouvé. Quand elle eut en mains l’enveloppe sur laquelle Pierre avait écrit son adresse, elle la soupesa enfantinement. Elle se dit : « Il m’envoie une longue lettre : comme il est bon ! … » et elle la déchira dans un ravissement aussitôt changé en une épouvante. Elle regarda sa propre lettre non décachetée, puis, de nouveau, l’enveloppe à son nom. Était-il possible qu’un tel outrage lui vînt réellement de « son doux », comme elle appelait son amant, avec la mignardise commune à toutes les tendresses, — de ce Pierre qui, cette nuit encore, la serrait dans ses bras avec tant de respect dans l’idolâtrie, presque une piété dans la passion ? Le doute, hélas ! ne lui était pas permis. L’adresse était bien écrite par le jeune homme.