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rencontré mon mari, qui devait venir au-devant de moi ? … Mais un troupeau d’éléphants aurait passé sur la route que vous ne l’auriez pas remarqué ! … Vous allez chez Ely ? Vous y trouverez Du Prat… Vous savez, il a daigné enfin me reconnaître… »

Quoique Pierre Hautefeuille n’eût pas le moindre doute sur la présence d’Olivier chez Mme de Carisberg, ce témoignage nouveau, recueilli par hasard, avait achevé de lui navrer le cœur. Quelques minutes plus tard, il apercevait les toits et les terrasses de la villa, puis le jardin. La vue de la haie traversée cette nuit encore avec tant de confiance, tant de désir, tant d’amour, acheva de confondre sa raison. Il sentit que dans cet état de quasi-démence, il lui était impossible de voir sa maîtresse et son ami l’un en face de l’autre sans en mourir de douleur. Voilà pourquoi Olivier l’avait trouvé, attendant sa sortie au détour du chemin, pâle d’une effrayante pâleur, les traits décomposés, les yeux fous. La situation des deux amis était si tragique, elle comportait un entretien si poignant que tous les deux comprirent qu’ils ne pouvaient pas, qu’ils ne devaient pas s’expliquer là. Olivier monta dans la voiture comme si de rien n’était, et s’assit à la place libre. Au voisinage du corps de son ami, Pierre eut un frisson, aussitôt réprimé. Il dit au cocher : « À l’hôtel, et vite. » Puis, s’adressant à Du Prat :

— « Je suis venu te chercher, » fit-il, « parce que ta femme est très mal… »