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veillée inquiète de son mari, elle s’était tue, mais trop misérable, trop abandonnée, trop jalouse ! chaque nouveau bruit de pas dans la chambre voisine, elle avait prié, implorant la force de ne pas céder à la tentation de violence qui l’assaillait. À dix reprises, elle s’était forcée à réciter la consolante oraison : « Notre Père… » Et chaque fois, arrivée à cette phrase : « comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés… » elle s’était révoltée dans tout son être :

— « Pardonner à cette femme, jamais, jamais. Je ne pourrais pas… »

Un détail presque insignifiant — mais, dans des crises pareilles y a-t-il des détails insignifiants ? — avait achevé de surexciter ses nerfs si tendus. Vers neuf heures du matin, son mari était entré dans sa chambre, habillé pour sortir. À la main, il tenait une lettre glissée entre ses gants et son chapeau. Berthe n’avait pas pu lire la suscription de l’enveloppe, mais elle avait vu que cette enveloppe n’était pas affranchie, et elle avait dit à Olivier, le cœur remué par l’attente de la réponse qu’il ferait à cette simple question :

— « Vous cherchez un timbre ? … Vous en trouverez dans mon buvard, là, sur ma table… »

— « C’est inutile, » avait-il dit. « C’est un mot à porter en ville. Je le remettrai moi-même… »

Et il était sorti en ajoutant qu’il rentrerait pour le déjeuner. Il ne s’était pas douté qu’à peine seule, sa femme avait éclaté en sanglots. Elle était certaine maintenant que la lettre était pour la baronne Eli.