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acquerrait la preuve qu’il savait. Comme on voit, ces deux êtres arrivaient à se rapprocher à travers Hautefeuille, à se pénétrer, à se mesurer, même avant que l’inévitable choc les précipitât l’un contre l’autre. Ce fut encore Pierre qui vint apporter à sa pauvre maîtresse cette preuve dont elle avait soif tout à la fois et peur… Cette nuit-là, exactement la septième depuis l’arrivée d’Olivier, elle attendait Pierre à onze heures et demie, derrière la porte ouverte de la serre. Elle l’avait à peine entrevu dans la journée, le temps de lui fixer ce rendez-vous nocturne dont l’approche la brûlait d’une fièvre si douce. L’après-midi avait été voilée, lourde, orageuse ; et maintenant le dôme opaque des nuages tendus sur le ciel ne laissait filtrer aucun rayon de lune, aucune lueur d’étoiles. Par instants, un immense éclair courait au ras de l’horizon, illuminant tout le jardin sous les yeux de la jeune femme qui penchait sa tête pour épier. Les allées blanches bordées d’agaves bleuâtres, les gazons semés de massifs fleuris et de hauts palmiers au tronc chevelu, les cannes vertes des bambous, un bouquet de pins parasols au tronc rougeâtre, au feuillage obscur, apparaissaient dans un coup subit de lumière ; et l’ombre, tout de suite, s’épaississait plus noire, plus impénétrable. Était-ce l’énervement de la tempête approchante, « — car un grand souffle de vent chaud se levait, annonçant un passage d’ouragan ? —Était-ce le remords d’exposer son ami, quand il devrait repartir, à toute la violence de l’orage ?