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du plus beau talent, un hercule Normand à visage de faune, la lèvre heureuse, les yeux railleurs, qui devait, quelques hivers plus tard, dans cette même ville, assister vivant à une mort pire que la mort, à l’irréparable naufrage de sa magnifique intelligence. Mais, ce soir-là, un air de gaieté courait dans ces salons, éclairés par d’innombrables lampes électriques, ventilés par les souffles tièdes du premier printemps. Encore quelques jours, et toute cette société se disperserait aux quatre coins de l’un et de l’autre continent. Cette fête devait-elle son animation à ce sentiment d’une saison presque finie, d’un adieu voisin ? Toujours est-il que cette alacrité paraissait gagner jusqu’au maître du logis, l’archiduc Henri-François lui-même. C’était sa première apparition dans le salon de sa femme depuis la terrible scène où il était venu y chercher Verdier et l’emmener quasiment de force vers le laboratoire. Ceux et celles qui avaient assisté à son algarade dans cette lointaine après-midi et qui assistaient à la réception de ce soir : Mme de Chésy, par exemple, Mme Bonaccorsi, Mme Brion, venue de Monte-Carlo pour deux jours, Hautefeuille, devaient être stupéfaits de ce changement. Le tyran traversait un de ces moments de grâce extrême et de bonne humeur où il était impossible de lui résister. Il passait de groupe en groupe, avec un mot aimable pour tous et pour toutes. En sa qualité de neveu d’empereur et qui avait failli régner, il possédait le don princier par excellence, une