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de cette énergie qui sait dresser un état exact de situation. Ces âmes là, fortes et lucides, ne s’attardent pas aux fièvres de l’imagination maladive où s’affole la faiblesse. Elles voient clairement approcher le danger. C’est ainsi qu’au plus fort de sa passion naissante pour Hautefeuille, — sa confidence à Mme Brion en faisait foi, — elle avait prévu, avec une quasi-certitude, le heurt de son amour contre l’amitié d’Olivier pour Pierre. Mais ce réalisme courageux fait qu’une fois en présence de ce danger, ces mêmes âmes le circonscrivent, le mesurent. Elles constatent avec précision les données de la crise qu’elles traversent, et elles ont cette autre force d’oser espérer, en sachant pourquoi, dans, des moments qui paraissent désespérés. Si après le départ d’Hautefeuille et en remettant sa tête lassée sur l’oreiller de volupté, devenu l’oreiller d’une anxieuse insomnie, Ely de Carlsberg avait eu une reprise d’affreuse inquiétude, quand elle se leva, le lendemain matin, elle était de nouveau en confiance avec l’avenir. Elle espérait.

Elle espérait, — et pour des motifs qu’elle voyait devant elle comme son père le général pouvait voir un terrain de bataille, nettement, précisément. Elle espérait dans l’amour, d’abord, qu’Olivier Du Prat devait porter à sa femme. Elle-même, elle avait si bien éprouvé quel rajeunissement apporte au cœur l’émotion d’aimer une âme jeune, pure, naïve à la vie, combien notre