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laquelle la Vénitienne répondit du ton le plus naturel :

— « Mais si, deux hivers. Elle n’était pas bien avec son mari, alors, et ils vivaient chacun de son côté. C’est un peu remis, à présent, quoique… »

Et l’excellente créature se tut, — par discrétion !



Le sentiment de joie profonde éprouvé par Ely, à constater, dans son rendez-vous nocturne avec Pierre, le silence d’Olivier, n’avait pas duré longtemps. Elle connaissait trop son ancien amant pour ne pas comprendre que ce n’était là qu’un suspens momentané d’une menace toujours présente. Elle savait ce qu’il pensait d’elle, et le délire de vision noire donc cet esprit malheureux était capable. Il ne pouvait pas ne pas la juger aujourd’hui comme il la jugeait à l’époque de leurs amours, avec cette dureté forcenée dans la mésestime qui l’avait tant révoltée. Elle savait combien il aimait Hautefeuille, de quelle amitié passionnée, inquiète et jalouse. Non, il ne lui laisserait point cet ami si cher sans le lui avoir disputé, ne fût-ce, la jugeant comme il la jugeait, que pour le sauver de son influence. Et puis, son tact d’ancienne maîtresse ne s’y trompait pas, lorsque