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— « Ils ont passé la nuit là-bas ! » se dit Olivier. D’ailleurs, ils l’auraient passée ensemble sur le bateau, sa conclusion eût été pareille. N’est-ce pas le rêve de toutes les maîtresses mariées, le roman dans leur roman : s’assurer la douceur d’une vraie nuit d’amour, pleinement, longuement savourée en un asile protégé ? Et comme si la destinée s’acharnait à dissiper ses derniers doutes, voici qu’en traversant le restaurant pour gagner une table libre, parmi la foule bigarrée des dîneurs et des dîneuses, Hautefeuille s’arrêta. Il saluait quatre personnes assises à une table plus élégamment servie que les autres et jonchée de rieurs rares :

— « Tu n’as pas reconnu ton ancienne camarade de cotillon ? » dit-il à Olivier en revenant à côté des Du Prat.

— « Yvonne de Chésy ? En effet, elle n’a pas changé… Comme elle reste jeune ! » fit Olivier. Il avait devant lui une large glace dans laquelle se réfléchissait tout le pittoresque tohu-bohu du restaurant à la mode, avec ses tablées de femmes du monde et du demi-monde en toilettes parées et en chapeau, se coudoyant, se dévisageant, et accompagnées par des hommes qui connaissaient les unes et les autres. La position des convives faisait que Du Prat voyait Yvonne en profil perdu. Elle avait en face d’elle son mari, non plus l’étourdi et fringant Chésy de la Jenny, mais un être nerveux, inquiet, absent, l’image trop exacte du joueur décavé, qui se demande, en plein décor de luxe, s’il ne va pas sortir de la chambre pour