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— « Pas que je sache. »

— « Il n’est peut-être pas bien lui-même, » reprit Olivier. « Si vous permettez, je vais chercher de ses nouvelles… »

Il avait quitté le salon depuis longtemps. La jeune femme était encore le front sur sa main, dans l’attitude qu’elle avait eue pour lui répondre : « À tout à l’heure… » Ses joues étaient brûlantes maintenant, et, si elle ne pleurait pas, elle avait le cœur bien gros, car son souffle se faisait hâtif et saccadé. Olivier absent, elle était une autre femme et qui se livrait tout entière au sentiment singulier que lui inspirait son mari. Elle avait pour lui un amour froissé, méconnu et maladroit, qui, ne sachant pas, n’osant pas s’épancher en tendresses ou en reproches, s’exaspérait en muettes, en constantes irritations. Dans un tel état moral, l’amitié si visiblement partiale d’Olivier pour Pierre devait lui être très antipathique, surtout depuis ce crochet sur Cannes qui reculait leur retour, quand elle avait, elle, toute sa famille à revoir. Mais une autre raison lui faisait détester cette amitié. Comme toutes les jeunes femmes qui se marient dans une société autre que la leur, elle était passionnément inquiète du passé de son mari. Une de ces demi-confidences, que les hommes les plus renfermés se permettent avec la première expansion des lendemains de mariage, le lui avait appris : Olivier avait, dans les derniers temps de sa vie de garçon, subi une déception d’amour particulièrement cruelle. Une