Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/291

Cette page n’a pas encore été corrigée

reviendrait certainement la chercher pour lui faire voir Cannes. Puis, comme il ne paraissait pas, elle réglait sa correspondance en retard, avec un calme apparent dont Olivier fut la dupe. Elle ne fit, d’ailleurs, quand il entra, aucun geste de contrariété ou de reproche. Les traits raides de son visage demeurèrent aussi tendus, aussi froids. Dès les premières semaines de leur mariage, les deux époux avaient commencé de vivre dans ce singulier état d’intimité distante. De toutes les formes d’existence conjugale, c’est la plus contraire à la nature et la plus exceptionnelle dans les commencements. Il faut avoir bien pris son parti d’un mariage manqué pour savoir que le seul remède à l’incompatibilité d’humeur est la politesse. Elle résout du moins les difficultés du frottement quotidien, aussi intolérables quand l’amour fait défaut que la présence quotidienne est douce et nécessaire aux mariages heureux. Mais que de fois, même dans les ménages les plus mal assortis, cette politesse dissimule chez une des deux personnes qui la pratiquent les secrètes violences de la passion, rênée parce qu’elle est méconnue ! Etait-ce le cas pour Mme Du Prat, pour cette enfant de vingt-deux ans, si maîtresse d’elle-même qu’elle semblait tout naturellement indifférente ? Souffrait-elle de son mari sans en rien montrer ? L’avenir le dirait. Le présent, c’était une femme du monde en voyage, d’aspect parfaitement correct, qui tendit son front au baiser du seigneur et maître sans une plainte, sans une